Faut-il écrire pour mieux s’exprimer?

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Dans le cadre de la 30 édition de la Semaine de la presse et des médias dans l’École, un débat ouvert à tous les élèves du lycée Louis Armand a été organisé le mardi 19 mars 2019 au CDI, sur la question “Faut-il écrire pour mieux s’exprimer?”

 

Nous avons reçu à cette occasion la déléguée académique à l’éducation aux médias et à l’information, Elodie Gautier, du CLEMI de Créteil, ainsi que Bahar Makooi, journaliste pour France 24 et France culture.
Des élèves de 2ndeB ont d’abord présenté le parcours de la journaliste, puis Godefroy et Noushine de l’équipe Prophil ont introduit le débat auprès des élèves participants, afin d’en éclairer les enjeux :

 

“Nous ne nous rendons bien compte de ce que nous avons dans l’esprit que lorsque nous avons pris une feuille de papier” affirme Bergson. Mais faut-il forcément écrire pour mieux s’exprimer ?

Ecrire, c’est rechercher le mot juste pour formuler sa pensée, qui est matérialisée sur la feuille de papier ou l’ordinateur. En écrivant, nous prenons du recul, de la distance vis-à-vis de ce que nous voulons dire. Garder une trace de notre pensée permet d’y revenir, de la corriger, de chercher à mieux s’exprimer. Un article de journal, un livre, un manifeste, une simple lettre ou un mail : l’écrit est partout un moyen de diffuser sa pensée pour la rendre accessible à autrui. Les écrits des hommes se conservent même après leur disparition, ils deviennent intemporels : nous pouvons ainsi dialoguer avec leur pensée. “Verba volant, scripta manent” : les paroles s’envolent et les écrits restent, comme le dit une expression latine.

Pourtant, certains diront qu’écrire ses discours retire de la spontanéité à nos propos. Lorsque nous parlons sur le vif, dans une conversation improvisée ou un dialogue, nous découvrons notre pensée au fur et à mesure. Parler, s’adresser directement à son interlocuteur, être éloquent ou persuasif, n’est-ce pas un moyen d’exprimer non seulement des idées, mais aussi des émotions ou des sentiments? Dans le monde d’aujourd’hui, l’éloquence connaît un regain d’intérêt, qu’il s’agisse des concours de plaidoirie ou du grand oral de la réforme du baccalauréat. On reconnaît qu’il faut aussi bien parler pour bien penser.

D’ailleurs, l’oral et l’écrit ne sont pas les seuls moyens d’expression. Une image, dit-on, vaut mille mots. Notre corps également peut être expressif, par le regard,le geste, la démarche, et c’est d’ailleurs ce qu’apprennent tous les professionnels de la communication. Avec une musique, un dessin ou un émoticon, il est possible de s’exprimer même lorsque l’on n’a pas les mots pour le faire. Alors, l’écriture est-elle vraiment nécessaire pour parvenir à une meilleure expression de sa pensée?”

 

De petits groupes se forment, discutant de la question, réfléchissant aux arguments qu’ils peuvent faire valoir, notant quelques idées sur le papier. Après une quinzaine de minutes, le débat lui-même commence, animé par Mme Buntzly (professeure de Philosophie).

 

 

Rédouane : L’association de l’oral et de l’écrit permet de mieux s’exprimer. Mais il est vrai que l’écrit est plus difficile à interpréter ; l’oral est plus directement compréhensible.

 

Niels : Quand on écrit, on a du recul. Cependant, à l’oral on est pris par le présent, et on ne peut plus retourner en arrière. L’écrit est là pour poser les bases de la réflexion.

 

Yann : L’écrit permet de mieux formuler ses idées qu’à l’oral. On trouve la bonne réflexion, les mots adaptés et une meilleure expression de ce qu’on pense.

 

Gwendal, acquiesçant : Certaines personnes peuvent avoir beaucoup de mal à retranscrire leurs idées, s’ils ont un vocabulaire et des expressions restreints. Il faut donc bien connaître la langue pour bien s’exprimer.

 

Johanna : Par exemple, écrire en faisant de nombreuses fautes d’orthographe donne une mauvaise impression à son lecteur.

 

L’écrit est-il un moyen de communication plus élitiste?

 

Alexandre, réagissant à l’intervention initiale de Rédouane:

L’oral permet de convaincre, car on peut s’adapter à la personne qui est en face de nous. Mais l’écrit permet de transmettre des pensées aux générations futures.

 

Jonathan : L’écrit permet de mieux structurer les idées, on peut faire un plan et ordonner sa réflexion, même si cela est moins spontané.

 

Michal : Justement, comme l’oral est spontané, il est plus honnête, plus authentique que l’écrit.

 

Niels, présentant une objection : Il y a des situations particulières où il est plus difficile d’être spontané à l’oral.

 

Johanna : Cela dépend du contexte! Prenons l’exemple de ce débat : on écrit pour débuter notre débat, cependant l’oral permet de le continuer, d’être spontané et honnête.

 

Valentin : Mais l’oral permet aussi de manipuler, grâce à l’apparence, aux gestuelles, à la communication, aux “feelings”. Donc ce moyen d’expression n’est pas forcément plus authentique.

 

Bahar Makooi : L’oral est intéressant, car les gestes, la voix, les moments de silence dévoilent des éléments sur celui qui parle. A l’oral, on peut avoir des lapsus, ce qui révèle peut-être des choses qu’on ne voulait pas dire. Mon travail consiste à remodeler les paroles à l’écrit, comme après un interview. Mais il faut faire attention à ne pas changer la réalité.

Grâce à l’écrit, on peut aussi vérifier les faits. Prenons un exemple : si on lit quelque part que “La violence a augmenté dans tel ou tel quartier”, on peut aller vérifier cette information. Alors qu’en direct, nous n’avons pas le temps de vérifier ce que dit l’interlocuteur.

Mais souvent, les discours sont préparés à l’avance, comme la plaidoirie d’un avocat, le journaliste de télévision qui lit en réalité un prompteur, etc.

 

Valentin : Par exemple les discours d’Emmanuel Macron sont préparés, il utilise une certaine gestuelle, etc. On ne peut pas connaître sa véritable pensée.

 

L’oral nous trahit-il car il laisse passer des émotions?

 

Rédouane : On peut essayer de maîtriser ses émotions à l’oral. De même, à l’écrit, seules les idées que nous avons finalement choisies de délivrer aux autres sont présentes.

 

Johanna : A l’écrit, il n’y a pas d’intonation. Une même phrase peut avoir différents sens. Par exemple, l’ironie peut être mal interprétée.

 

Il y a des approches différentes d’un même texte, les ressentis sont différents. Y a-t-il une infinité d’interprétations du texte écrit?

 

Bahar Makooi, faisant référence à son expérience de journaliste : Parfois, certains articles sont mal interprétés, ou interprétés dans un sens différent de l’intention originale, comme c’est souvent le cas pour les article sur les migrants, qui font l’objet de commentaires racistes ou proches des idées d’extrême-droite.

Une fois, l’un de mes collègues a écrit un article sur l’accueil d’un jeune guyanais en métropole. L’article avait pour but de mettre en avant la situation complexe de ce migrant et la générosité de la famille d’accueil.

Mais l’article a été rapidement mal interprété sur les réseaux sociaux : il était utilisé pour présenter le jeune migrant comme une personne profiteuse, abusant de la générosité de sa famille d’accueil.

Un écrit peut donc être utilisé avec des fins différentes, être instrumentalisé.

 

Les réseaux sociaux sont-ils plus proches de l’oral que de l’écrit?

 

Johanna : Quand on relit un écrit longtemps après sa parution, par exemple sur les réseaux sociaux, on peut mal juger l’intention initiale. Par exemple, certaines personnes se font « lyncher » sur Instagram et d’autres réseaux sociaux pour ce qu’ils y ont écrit il y a longtemps, alors que la façon de penser durant ces quelques années a changé. Par exemple, des propos qui passaient inaperçus avant peuvent être aujourd’hui perçus comme sexistes. L’écriture reste à jamais.

 

Le débat aborde ensuite la question de l’image comme moyen d’expression.

 

Rédouane : L’image permet une meilleure expression de soi, de ses sensations. L’image est plus parlante, elle retranscrit mieux le vécu.

 

Niels : Les images sont une très bonne manière de s’exprimer. Car le dessin est universel, alors que le langage est particulier.

 

Michal : Objection, les symboles sont contradictoires et ne représentent pas les mêmes choses en fonction des cultures (par exemple, la croix gammée (svastika) représente pour nous un symbole nazi, alors qu’il a des significations religieuses ou sacrées pour les hindouistes ou les bouddhistes).

 

Bahar Makooi : Quand on publie un article, il est difficile de trouver l’image juste pour l’illustrer. L’image n’est pas neutre, elle est partielle. Imaginons par exemple que nous cherchons une image pour illustrer un article sur la banlieue qui doit être publié très rapidement. Nous allons chercher dans l’urgence une image qui doit correspondre au contenu de l’article, mais qui doit aussi évoquer immédiatement la banlieue. Faut-il mettre un jeune à capuche, un pavillon dans une ville, ou bien une image de cité pour illustrer la banlieue? L’image fait ressortir les clichés.

 

Johanna : Avec l’image, on peut aussi manipuler. C’est le cas avec les publicités par exemple.

 

Rédouane : Cependant, les mêmes effets se produisent à l’oral. Avec des voix différentes ou une bonne éloquence, on peut chercher la manipulation d’autrui.

 

Johanna : La parole est frontale, l’image l’est moins.

 

Élodie Gautier (CLEMI) : Le cinéma rejoint cet esprit. Il y a, derrière chaque scène, énormément d’écrit (story-board, scénario, etc). Les scènes que l’on visionne sont en réalité le résultat d’un travail d’écriture.

L’écrit et l’image ont tous deux des responsabilités, mais est-ce les mêmes ?

 

Niels : S’exprimer permet de mettre la pensée sur un support intemporel. L’oral (sauf les enregistrements) s’oublie.

 

Rédouane : Les sentiments modifient l’expression orale, la déforment, tandis que les phrases écrites ne se modifient pas.

 

Mme Bourvon (professeure d’anglais) : Et qu’en est-il lorsqu’on s’exprime dans une autre langue, une langue étrangère ?

 

Valentin : L’intonation ne nous est pas naturelle.

 

Mme Bourvon (professeure d’anglais) : Y a-t-il le temps pour que l’émotion puisse atteindre autrui ?

 

Valentin : Le mensonge peut s’y glisser ainsi que les malentendus, cela peut être gênant.

 

Mme Rossi (professeure de Lettres) : Que pensez-vous du fait d’avoir écrit vos idées sur le papier avant le débat? Cela vous a-t-il freiné ou aidé ?

 

Rédouane : Le choix d’écrire, de garder ses  émotions, permet de moins s’éparpiller et de mieux réussir à intéresser l’interlocuteur.

 

Michal : Je trouve que le fait d’écrire freine l’expression. On est emporté par la feuille devant nous.

 

Donc l’écrit nous fait perdre de la spontanéité ?

 

Valentin : Non, cela dépend de la personne. De plus, Il y a un décalage entre notre pensée au moment où on l’écrit et notre pensée au moment où on l’exprime à l’oral. Il y a même une redécouverte de ce que l’on pense.

 

Michal : La pensée évolue. L’oral permet une meilleure évolution de notre pensée, plus que l’écrit.

 

Valentin : L’écrit permet de commencer, l’oral prend le relais pour porter le débat.

 

Rédouane, approuvant : Finalement, il faut utiliser toutes les formes d’expression pour mieux faire comprendre sa pensée, car elles se complètent.